Mots clés : Repas – Apéros – Communauté – Engagement – Changement – Ecogestes

Article rédigé par Marie Cénec, pasteure à l’EERV pour le n°129 de la revue Vie et Liturgie, 2/2023.

Aux tables d’Isabelle et de Marta : la joie du partage et de l’engagement écologique

Marie Cénec

On dit que le diable se cache dans les détails : les partisans des écogestes le savent, eux qui se battent contre nos excès de consommation, la pollution et le gaspillage. Mais il se peut aussi que Dieu s’y révèle, les “détails” permettant d’initier des conduites écovertueuses comme de sensibiliser à une autre manière de vivre.

Parler de nos modes de consommation alimentaire, c’est ouvrir la boîte de Pandore de la complexité humaine: ce que nous mangeons et notre manière de passer à table touchent autant à notre éducation, à nos goûts qu’à notre rapport à notre corps, notre santé et notre environnement. Le repas est le lieu d’enjeux multiples et complexes, et nul besoin qu’il soit eucharistique pour que s’y révèle notre manière de vivre en communion les uns avec les autres et avec le monde.Ouvrir les yeux sur les ravages écologiques qui touchent notre environnement peut donner la nausée et prendre aux tripes. Dès que l’on commence à accumuler des connaissances sur ce sujet, il n’est pas rare que l’on se retrouve avec un nœud à l’estomac et une boule au ventre — passage souvent obligé pour prendre conscience de la gravité de la situation. Pourtant, il arrive que dans les paroisses, les chrétiens sensibles à l’environnement soient encore considérés comme des petits hommes verts, appartenant à une autre planète. Mais c’est justement, car ils sont attachés à notre planète et enracinés dans le terreau paroissial qu’ils passent à l’action et amorcent une dynamique de changement, sans craindre de remettre en question les habitus paroissiaux. Le repas comme l’apéritif paroissial peuvent alors devenir le lieu où s’éprouvent l’éthique écothéologique et l’amour de la création. C’est l’expérience de Marta Paz et d’Isabelle Veillon, qui s’engagent depuis des années pour le respect de la Création et l’écocommensalité.

 En Alsace 

Depuis 2018, la paroisse Saint-Jean de Wissembourg est entrée dans la démarche “Eglise verte”. Marta Paz, qui y est assistante de paroisse, m’a raconté comment sa “conviction personnelle a débordé sur la paroisse”. Avec une équipe de bénévoles qui se sont pris au jeu, elle travaille afin d’acquérir de nouveaux réflexes et d’intégrer le questionnement et les réflexions écologiques “dans le quotidien et l’organisation de tout”. Ainsi, “ils se sont réinventés au niveau du repas” et ce, même en temps de pandémie. Il se sont organisés pour tester une nouvelle forme d’agapes, celle du repas paroissial à emporter après le culte. Il a fallu mettre en place un système de consigne et des livraisons à domicile, mais cet effort a été couronné de succès: plus de 120 personnes ont pu goûter à la délicieuse cuisine d’un paroissien restaurateur, conditionnée dans des contenants réutilisables. 

L’année suivante, le repas paroissial a pu à nouveau se vivre en communauté: entre le jardin du presbytère, l’église et la rue, tout a été mis en place pour que la joie de la rencontre et le respect de la Création aillent de paire. Ce temps festif ouvert au-delà du cercle des paroissiens est un exemple d’événement zéro déchet lors duquel, pour citer à nouveau Marta, “on ne jette plus, on gère, c’est tout!”. Et la gestion est efficace: un système de poubelles avec pictogrammes pédagogiques a été mis en place et tout a été prévu pour qu’il y ait le moins à recycler. Même si la cuisine est petite, on y fera la vaisselle pour les tasses, les verres et les cuillères lavables. Qui entre dans le jardin du presbytère se rend compte que tout y est étudié pour favoriser la biodiversité, et un compost bien en vue témoigne des efforts fournis. Après la fête, c’est sur ce tas que finiront les assiettes biodégradables en bagasse. Pour éviter d’en utiliser trop, les grillades et les knacks sont servis dans du pain et les tartes flambées sur des planchettes. A table, on ne trouve ni nappes, ni serviettes en papier, mais des morceaux d’essuie-tout sans chlore qui pourront rejoindre le compost. Dehors, la nature est si belle qu’il n’y a nul besoin de décoration sur les tables. Quand les repas se tiennent au foyer, ce sont des nappes récupérées de belle qualité et lavables qui habillent les tables.

Quant aux boissons, tout a aussi été pensé: un point d’eau SodaStream est à disposition pour les adeptes de l’eau pétillante. Le café est préparé avec un percolateur et du café en grains, est servi avec des sucres non emballés et les petites crèmes individuelles ont cédé leur place au lait concentré dans un contenant plus grand.

Au moment du dessert, la générosité des paroissiens saute aux yeux: trois tables sont recouvertes de gâteaux aux fruits dans l’église, d’autres attendent dans le frigo. Avec le stand de glaces fait maison, personne n’a donc manqué de dessert! C’est la preuve que sobriété écologique et gourmandise ne s’opposent pas. Pour Marta, l’ambiance de cette journée était “magique”.

Marta et son groupe sont en recherche continuelle de solutions: la viande est encore au menu, car ils n’ont pas trouvé une alternative végétarienne assez goûteuse et qu’ils respectent les goûts de leurs paroissiens. Pour Marta, l’enjeu est de “rester simple”, dans cette démarche où “il y a tellement de choses à repenser”. S’attaquer au repas paroissial est un défi, changer et de réflexes également. Mais à l’écouter, on se rend compte que c’est possible.S’il faut du temps pour entrer dans un tel processus, une fois que la dynamique a été mise en place, elle n’a constaté ni freins ni plaintes. Lorsqu’il y a parfois des questions, c’est l’occasion de poursuivre la démarche de sensibilisation qui a été initiée, une démarche qui s’ouvre aussi à la communauté catholique et aux paroisses voisines. 

Dans le canton de Vaud

 A Lausanne, un groupe s’est engagé dans un processus semblable à celle de la paroisse alsacienne de Wissembourg. Isabelle Veillon, conseillère de paroisse de Chailly – La Cathédrale, a, de son côté, fait évoluer l’apéritif paroissial. Dans ses propos et sa manière de traduire ses convictions écologiques, on retrouve la même détermination énergique que chez Marta, toute comme un sentiment de fluidité, car “quand on veut, on peut”. Isabelle conjugue ses convictions écologiques à son attention à l’autre. Quand elle évoque le fait de ne pas se contenter d’une “poignée de cacahuètes jetée dans une assiette en plastique”, l’exemple est frappant: ouvrir sa table à l’autre demande de prendre le temps de la préparation et de l’accueil. Avec le groupe Eglise & Environnement de Lausanne, elle a travaillé à la publication de recettes pour les apéritifs paroissiaux: cake salé, sablé au parmesan, pop-corn, tartinades ou mini-pizza mettent l’eau à la bouche*. L’exemple d’Isabelle illustre bien comment le lien entre soin de la relation à l’autre et soin à la Terre est organique. Elle y consacre du temps, celui de faire la cuisine, de préparer de délicieux sirops ou encore de faire quelques allers-retours à vélo pour aller acheter des produits locaux: le temps de l’attention aimante au monde qui nous entoure.

 A entendre les témoignages de ces deux écosœurs, on se rend compte que nous sommes loin du green-washing ecclésial, car c’est bien mobilisées par leurs convictions profondes qu’elles s’engagent pour que les réunions autour des tables paroissiales soient le lieu d’une prise de conscience fondamentale: notre fraternité et notre sororité dépassent les frontières de nos lieux et c’est bien avec l’ensemble de la Création que se vit notre communion.

* Les recettes d’apéritif proposées par le groupe Eglise & Environnement de Lausanne (EERV), et par oeco Eglises pour l’environnement: EERV_Lausanne_ecogeste_Recettes_Aperitif.pdf